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Channel: redocumentarisation – Déjà Vu
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Cataloguer, c’est s’approprier une collection

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Comme on le sait, les photos de PhotosNormandie proviennent des archives nationales des États-Unis et du Canada. Lors d’une présentation récente du projet, un interlocuteur s’est étonné qu’elles ne soient pas identifiées par leurs cotes d’origine, c’est-à-dire par les références qui figurent dans les catalogues de la NARA (National Archives and Records Administration) et de la BAC (Bibliothèque et Archives Canada). J’ai répondu que nous avions utilisé dès le lancement du projet en janvier 2007 les références de la forme pxxxxxx qui figuraient initialement sur le site Archives Normandie 1939-1945 créé en 2004 par le Conseil Régional de Basse-Normandie à partir de ces archives américaines et canadiennes. Et sur ce site maintenant disparu1, les cotes NARA ou BAC n’étaient pas mentionnées. Mon interlocuteur apparemment peu convaincu a alors soutenu que l’une des tâches du projet devrait consister à retrouver les cotes d’origine et les retranscrire au moins dans les notices descriptives des photos (il souhaitait même à demi-mot, si j’ai bien compris, que ces cotes retrouvées deviennent les références de la collection PhotosNormandie et se substituent aux pxxxxxx actuels). Mon point de vue est tout à fait différent. La mention de la cote d’origine dans les descriptions nouvelles que nous produisons constitue certes une information intéressante, mais pour le moment la recherche de ces “références premières perdues” n’est pas une priorité du projet. Lorsque nous retrouvons une cote NARA par exemple, nous la reproduisons en général dans la notice descriptive de la photo, mais ce n’est pas une information que nous considérons comme un point d’entrée essentiel dans la collection. Autrement dit, une méthode de référencement n’est pas plus légitime qu’une autre au motif qu’elle serait plus ancienne ou plus prestigieuse. Les nomenclatures établies par les grands établissements ne doivent pas être sacralisées, ce ne sont pas des carcans. Tout référencement de documents d’archives constitue un système possédant sa propre cohérence. Malgré ses éventuelles imperfections et son fonctionnement autarcique, celui du projet PhotosNormandie doit être vu comme un cadre unifiant une collection et permettant de construire des applications de redocumentarisation.

Un exemple permettra d’éclaircir cette position. Examinons une courte série de photos.

Réf. p011160. Un convoi militaire américain transportant de l'artillerie lourde passe sur la rue des Casinos et le pont du lac à Bagnoles de l'Orne, direction Domfront.

Réf. p011162. La 'Villa Roger' et l''Hostellerie de la Biche' détruites par les bombardements alliés à Bagnoles de l'Orne.

Réf. p011163. Voie ferrée arrachée par les bombardements alliés à Bagnoles de l’Orne; au premier plan un trou de bombe.

Réf. p011164. Voie de chemin de fer détruite par les bombardements alliés à Bagnoles de l’Orne.

Ce sont les seules images de la collection qui concernent la commune de Bagnoles-de-l’Orne, et l’on remarque que leurs numéros de référence se suivent, à l’exception d’un “manque” pour la p011161. Pourtant, en interrogeant la base commerciale Archives de Guerres, on constate que cette référence p011161 existe effectivement; la photo correspondante a bien été prise dans la même localité mais elle n’est pas disponible au format numérique.

Cette séquentialité, que l’on peut observer en plusieurs endroits de la collection, montre qu’un travail d’ordonnancement a été effectué lors de l’attribution des cotes de la forme pxxxxxx. Cataloguer un ensemble de documents photographiques, c’est en effet d’abord les classer.

Ces quatre photos sont américaines. Quelles sont leurs références NARA ?

Les nombres suivants figurent respectivement en bas à droite de chacun des tirages: 192716 (ou 192718), 192769, 332111, 332112.
En recherchant la référence 332112 à l’aide de l’outil Online Public Access de la NARA, on obtient alors pour la dernière image deux références distinctes: le National Archives Identifier 593448 et le Local Identifier 111-SC-332112; cette dernière cote reprend le numéro figurant sur la photo qui est enregistrée dans le Record Group 111 du Signal Corps (SC), l’unité militaire dont dépendaient les soldats photographes américains durant la Seconde Guerre mondiale2.

NARA Online Public Access, la photo référencée 593448 / 111-SC-332112

Mais alors, si l’on souhaite pour PhotosNormandie remplacer le système de référencement actuel par celui de la NARA, quelle cote devrions-nous adopter ? Le National Archives Identifier ou le Local Identifier ? Par ailleurs, les numéros d’identification des tirages utilisés pour fabriquer les Local Identifiers ne forment pas une véritable séquence, excepté les deux derniers (332111 et 332112). L’organisation de ces images spécifiques est clairement moins abouti dans le système de cotation NARA que dans le système observé précédemment. Par contre, il reflète probablement mieux l’ordre des prises de vue et le travail de secrétariat effectué sur le terrain en 1944.

La mauvaise qualité des légendes des photos sur Archives Normandie 1939-1945, qui a motivé la création de notre projet, pourrait laisser croire que l’abandon des cotes d’origine pour une nouvelle nomenclature ad hoc constitue également une aberration archivistique. Il n’en est rien. La pratique qui consiste à attribuer de nouvelles références à des documents qui en possèdent déjà n’est pas anodine mais elle est parfaitement assumée dans le monde des archives. Elle s’accompagne en général de l’abandon des cotes initiales et signe ainsi l’appropriation des documents et la constitution d’une nouvelle collection par l’organisme responsable. Ainsi, les quatre photos dont nous parlons sont respectivement connues aux Archives Départementales de l’Orne sous les références 39Fi23, 39Fi24, 39Fi26, 39Fi25 sans aucune mention des cotes NARA3. Au passage, les fonds d’archives cotés “39Fi” correspondent en France à une classe du cadre de classement réglementaire des archives départementales pour les documents iconographiques (série Fi: documents figurés et assimilés entrés par voie extraordinaire – cartes et plans, dessins, gravures, estampes, lithographie, photographie, affiches). Ainsi, la cote 39Fi25 de la dernière photo en exemple n’a de signification qu’aux Archives Départementales de l’Orne; dans un autre contexte, elle référencera un tout autre document.

La base Coriallo, collection de photos provenant de la banque iconographique patrimoniale de la Ville de Cherbourg-Octeville, est un autre exemple d’attribution de nouvelles références puisqu’elle répertorie les photos américaines de la Seconde Guerre mondiale dans sa série 2GM sans aucune mention des cotes NARA.

Pour paraphraser le célèbre adage nominaliste Nommer, c’est classer, attribuer une cote à un document, le référencer, et plus généralement le cataloguer, c’est aussi le classer mais surtout se l’approprier et l’insérer dans un système cohérent qui permettra, le cas échéant, de développer une application de redocumentarisation.

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  1. La Wayback Machine permet d’examiner le site archivé à différentes dates jusqu’en 2012, par exemple le 23 avril 2012. Rappelons aussi que cette collection est disponible sur le site commercial Archives de Guerres avec les mêmes références.
  2. Cf. le billet Revoir Capa, 24 avril 2010.
  3. Cf. Bagnoles-de-l’Orne 1913-2013 – un siècle, Histoire de la ville de Bagnoles-de-l’Orne réalisée à partir des archives, Bagnoles-de-l’Orne Tourisme, Directeur de la publication: Jean-Pierre Blouet, Rédaction: Yvane Danguy, Juin 2013, page 148.

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